Nouvelles restrictions en matière des jeux vidéo : interprétation de la loi sur la délinquance des mineurs. Quand le politique s’empare du jeu vidéo
La modification du régime juridique de protection des mineurs va avoir des incidences sur les jeux vidéo sur deux points principaux : 1) Interdiction de vendre, diffuser, louer toute œuvre interdite aux moins de 18 ans 2) Mise en place d’une signalétique adaptée et définie par une autorité administrative compétente.
Sur l’interdiction de vente aux mineurs,
A priori cela ne touche que 3% des jeux produits, mais concerne certains best-sellers : GTA, Gears of War, jeux de guerre, etc. Il est alors imaginable que la distribution de ces jeux soit fortement limitée, comblant ainsi les attentes de Association Française des Revendeurs Spécialisés (AFRS) qui souhaitait une interdiction de vente de ces jeux dans les grandes surfaces. Malheureusement cela n’est plus du domaine de l’hypothèse. (article 33 - 2 : interdire mise à disposition des mineurs). Il est important de veiller au principe de séparation des pouvoirs et du pluralisme, du moins d’éviter une concentration des intérêts privés d’une seule branche de l’industrie. Gardons en mémoire les stratégies de regroupement opérées entre certaines branches de l’industrie en vue de proposer un label concurrent du système PEGI.
Sur la présence d’une signalétique obligatoire et sa mise en place par une autorité administrative
La présence d’une signalétique sera déterminée par une autorité administrative compétente. Jusqu’alors seule une commission créée par le Conseil d’Etat pouvait se prononcer. Le passage de commission consultative à autorité administrative implique que les décisions de l’autorité administrative aient force exécutoire, elles devront être appliquées sans aucun recours ni contestation possible. Le fait que cette signalétique soit du ressort d’une autorité administrative risque de remettre en cause le système PEGI s’il n’est pas intégré dans le processus d’élaboration de la signalétique. Toutefois cette autorité administrative n’est pas définie de manière précise, aussi le PEGI et l’ISFE comme association européenne des associations nationales, pourrait se proposer ou du moins être présent au moment de la création de l’autorité.
L’établissement de la signalétique passe par une redéfinition du contenu des jeux, d’une échelle de valeur. Or les limitations pourraient être d’autant plus restrictives, par un glissement des jeux déconseillés aux moins de 16 ans vers une interdiction aux mineurs. Nous pensons notamment aux critères apparemment anodins comme la présence de cigarettes, mais aussi l’atteinte aux bonnes mœurs à la morale (faire du skate-board dans des endroits interdits pourrait être interprété comme une incitation au trouble de l’ordre public). Considérant qu’au niveau français, seule l’association Familles de France a produit une telle échelle de valeur, il semblerait logique que les pouvoirs publics, à défaut de concurrence, se tourne vers elle (reconnue d’utilité publique). Il ainsi important que les différentes associations défendant les intérêts de l’industrie se mobilisent pour participer à la mise en place de cette signalétique, ne serait-ce que pour proposer une expertise technique efficace, limiter la concentration des intérêts et offrir une grille de lecture et de classification des jeux vidéo, en adéquation avec la réalité du marché, les pratiques des joueurs.
Perspectives et débat
Cette loi s’inscrit dans un mouvement de réglementation des medias, remettant en cause le principe d’autorégulation. Si la protection des mineurs est fortement souhaitable et demeure un des principaux objectifs de l’Union européenne, la mise en place d’une réglementation politique nationale risque de nuire à l’industrie et à la liberté de production européenne, remettre en cause l’existence même du marché et de la construction politique européens.
Il doit pouvoir exister un marché du jeu vidéo pour adultes, au même titre que toute production artistique et culturelle. Il semblerait que les pouvoirs publics n’aient pas encore conscience de la maturité du public.
Les jeux vidéo pour adultes ne peuvent être traités de la même manière qu’une œuvre pornographique, c’est-à-dire soumis à une réglementation très stricte en matière d’accessibilité, visibilité. Au niveau de l’image de marque, cela peut être à double tranchant : soit une multiplication massives de titres avec un suivi du public attiré par l’interdit, constituant de la sorte un réel marché du jeu vidéo pour adultes, soit au contraire une autocensure des développeurs / éditeurs entraînant une infantilisation des jeux vidéo.
Certaines chaînes de magasins travaillent à la mise en place d’espace pour adultes. Toutefois il faudrait veiller à ce que cela n’entraîne pas une stigmatisation de ces jeux.
Cette loi pose de nombreuses questions sur la définition du jeu vidéo : est-ce une œuvre de production culturelle, une production industrielle, un media, etc. Si le Ministre de la Culture tend à reconnaître les jeux vidéo comme une production culturelle, les jeux vidéo ne devraient-ils pas bénéficier d’un traitement particulier, au même titre que l’industrie culturelle du disque, du cinéma, plutôt que d’être insérés dans une loi généralisante ? La limitation de l’accès des jeux vidéo n’est-il pas une entrave au principe même d’égal accès à la culture ? Souhaitons que le Conseil Constitutionnel invoquera les droits et libertés fondamentales pour veiller à de telles dérives, si saisine il y a.
Les rapports de force, les liens ambigus entre pouvoir économique et politique, l’impératif de légiférer en matière de sécurité, le contexte politique sont autant de facteurs pouvant être invoqués, mais ne justifient en rien de légiférer à la hâte sur ce qui est en passe de devenir le premier média et la première industrie du loisir.
Il semblerait que les jeux soient faits, que le politique se réapproprie tardivement les jeux vidéo, ignorant les avancées du secteurs, la maturité du public, la réalité d’une autorégulation efficace au niveau européen. Prendre les jeux vidéo comme facteurs explicatifs de la délinquance risque de nuire à la production dans son ensemble, et surtout ne résoudra en rien les problèmes inhérents de la société, ce qui est un autre débat. Comme le soulignait Johan Huizinga, « les jeux cristallisent les idéaux d’une société », or une société où ses idéaux ne peuvent pas être exprimés, sont soumis à un contrôle moral, est une société qui n’ose pas se regarder, qui se renie elle-même. Une société qui n’informe plus le public, qui ne lui laisse pas le choix d’être responsable, qui souhaite choisir pour le Peuple au nom de son bien-être, est une société qui se déresponsabilise, s’immisce dans la sphère privée, une société qui s’infantilise et remet en cause l’idéal républicain et démocratique du citoyen maître de ses actes.
P.-S.
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